Dans une discrétion totale, au cœur de l’été, le gouvernement a modifié l’organisation des services déconcentrés de l’État dans les départements.
Par un décret du 14 août 2020, les Directions départementales interministérielles (DDI), sous la responsabilité du Premier ministre depuis leur création, en décembre 2009, deviennent « des services déconcentrés de l’État relevant du ministre de l’Intérieur. Elles sont placées sous l’autorité du préfet de département ».
Ce texte change fondamentalement la façon d’administrer le pays, subrepticement.
Pour comprendre, il faut s’intéresser au fonctionnement de l’administration de l’État dans les territoires, et remonter un peu en arrière. Jusqu’en 2009, les ministères avaient chacun des services déconcentrés, dans les régions et les départements. Les questions d’écologie étaient traitées par les services et des personnels qualifiés du ministère de l’Écologie, les questions d’emploi et sociales par le ministère du Travail et des Affaires sociales.En 2009, il a été décidé de regrouper les services départementaux de ministères différents dans des directions communes (par exemple, la Direction départementale des territoires, DDT, regroupe à la fois des missions liées aux ministères des Transports, du Logement et de la Transition écologique). Les Directions départementales interministérielles ont donc été créées. Dépendant auparavant de plusieurs ministères à la fois, elles ont logiquement été placées sous l’autorité du Premier ministre, les préfets de département en assurant la coordination sous son autorité.
Elles restaient en liaison avec leurs anciens ministères de tutelle, les ministères techniques (Écologie, Agriculture, etc.). La grande rupture instituée par ce décret du mois d’août, c’est qu’il évince le Premier ministre, et prévoit que, désormais, ces directions départementales seront rattachées au ministère de l’Intérieur.
C’est-à-dire que tous les champs de compétences de ces directions, qui organisent la vie sociale (urbanisme, logement social, biodiversité, transition écologique, agriculture, éducation populaire, jeunesse et sport…), vont désormais être placés sous l’autorité du ministère de l’Intérieur et du préfet de département (dont la carrière dépend du ministère de l’Intérieur). Les significations politiques et administratives de ce changement de tutelle sont lourdes.
Tout d’abord, ces services perdent ainsi leur caractère interministériel. Tout n’est plus vu que sous le prisme d’un seul ministère, le ministère de l’Intérieur.
Or, pour ce ministère, la priorité est l’ordre public. Toutes les missions énumérées ci-dessus (social, écologie, agriculture…) passent au second plan.
Considérons, par exemple, celles du ministère de la Transition écologique. Eh bien ! L’écologie est aujourd’hui subordonnée au maintien de l’ordre. Après l’incendie de l’usine Lubrizol, à Rouen, le 26 septembre 2019, nous en avons eu une illustration : ce n’est pas le ministère de l’Écologie qui, normalement, a la tutelle de ces installations classées Seveso, qui a communiqué, mais le préfet. Or les fonctionnaires du ministère de l’Écologie avaient des choses à dire, qu’ils n’ont pu dire.
Autre exemple, actuel celui-ci, la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire est réalisée par l’Intérieur et les préfets, le ministère de la Santé restant au second plan.
Ce qui explique que la gestion de la crise passe d’abord par des mesures répressives. Il est donc à craindre que l’action contre le dérèglement climatique, et en faveur de la transition énergétique et de la biodiversité — dont le gouvernement parle pourtant beaucoup —, devienne subsidiaire.
Cette réforme renforce également les pouvoirs des préfets, pour lesquels la fonction d’agent du ministère de l’Intérieur prend le dessus sur la fonction de représentant de l’État. L’article 2 du décret prévoit en outre que les carrières des fonctionnaires de ces directions départementales, l’organisation du service, les conditions de travail et ses missions dépendent désormais aussi du ministère de l’Intérieur.
C’est donc comme si les ministères de la Transition écologique, de la Santé, du Logement, de la Jeunesse et des Sports perdaient leurs fonctionnaires dans les départements, au profit, là encore, de l’Intérieur. Il devient le seul ministère présent dans les territoires.
Ce mode de gouvernement est donc une sorte de retour à l’Ancien Régime. Aujourd’hui, tout comme le roi jadis, Jupiter-Macron ne gouverne plus qu’avec deux ministres : le ministre des Finances pour les questions de budget (l’Intendant de la Ferme générale d’autrefois, l’une des figures les plus honnies des révolutionnaires, car chargé de récolter l’impôt auprès de la population, quand les nobles et le clergé en étaient dispensés), et le ministre de l’Intérieur (le Lieutenant général de la police sous l’Ancien Régime, qui avait tout pouvoir sur les questions d’ordre public, notamment pour réprimer les pauvres), pour le maintien de l’ordre public et les autres affaires intérieures de l’État — les autres ministres étant là pour la décoration.
Cette décision n’a rien d’isolé et d’arbitraire. Elle relève d’un mode de gouvernement réfléchi, qui vise à favoriser l’activité économique des multinationales dans le contexte de la mondialisation.
Celles-ci n’ont pas besoin d’une administration comme celle du ministère de la Transition écologique, qui demande de respecter la loi sur l’eau ou la qualité de l’air, et rallonge le temps nécessaire à la mise en œuvre d’un projet. Pour embêter le moins possible les multinationales, on relègue les administrations techniques au second plan. Les autorisations pour construire les « grands équipements inutiles », comme les immenses centres commerciaux, les fermes de mille vaches ou à plusieurs milliers de porcs ou dizaines de milliers de poulets, seront accordées plus rapidement et facilement, avant même que le public soit averti, afin que la décision ne puisse pas être contestée, notamment en justice.
Dans le même temps, l’État assure à ces multinationales la sécurité publique pour mener à bien leurs projets. Une sécurité face aux contestations, aux manifestations, mais aussi une sécurisation de leurs démarches auprès de l’administration ou de la justice. C’est-à-dire la garantie que les normes ou les recours n’empêcheront pas un projet de construction d’usine, d’installationpotentiellement polluante, d’aboutir.
Le message envoyé par cette décision est clairement que l’écologie n’est ni une priorité ni digne d’être au cœur d’une politique publique.
Ce décret, apparemment technique et difficilement compréhensible par le grand public, montre donc une dérive autoritaire du pouvoir. Du point de vue du bon gouvernement du pays et des territoires, concentrer tous les pouvoirs sur un seul ministère axé sur le maintien de l’ordre, et laisser tous les autres domaines (économique, social, financier, culturel, etc.) entre les mains des multinationales est une faute grave, ou alors il s’agit d’un choix politique délibéré : ce qui compte, c’est le maintien par la force de l’ordre capitaliste néolibéral.
dessin Red/Reporterre
17 Novembre 2020
Écrit par Marc Web
Appel à une seconde vague d'action contre la réintoxication du monde
Dans la première moitié de l'année 2020, le déferlement viral aura provoqué un ralentissement inédit de la dévitalisation marchande de la planète. Au cœur du confinement s'est alors diffusée une lucidité partagée, mais trop souvent désarmée et isolée, quant à l'urgence de faire barrage in extremis à la production du désastre.
Le 17 juin dernier, alors que la machine se ré-emballait de plus belle, plus de 70 actions, blocages, rassemblements se sont déployés simultanément à travers le pays (1). Ils ont matérialisé un premier grand rebond de luttes de terrain contre la réintoxication de monde.
C'est pour donner une nouvelle fois corps à ce front commun, frappant par son énergie et sa diversité, qu'un ensemble de collectifs réunis le 30 août dernier à l'occasion d'un rassemblement sur la zad de Notre-Dame-des-Landes ont décidé d'appeler à une seconde vague d'actions coordonnées le 17 novembre prochain.
Les mobilisations locales du 17 juin ont dessiné une première cartographie post-confinement des sites de production destructeurs qui doivent s’arrêter, d'espaces naturels – forêts, zones humides, terres cultivables, friches urbaines – qui ne doivent pas être artificialisés, des chantiers écocides qu'il faudra paralyser… Elles ont aussi révélé des dizaines d'endroits où des collectifs d'habitant-e-s se lèvent déjà localement contre l'absurdité de ces "aménagements du territoire".
Le 17 juin n'a pas été sans lendemain. Des terres investies ce jour là à Dijon ou une vigie construite sur le quartier des Vaîtes à Besançon sont toujours défendues depuis. La zone sauvage du Carnet sur laquelle un rassemblement a eu lieu est maintenant devenue une zad et ses bétonneurs chancellent. Le projet menaçant la forêt du Madrillet à côté de Rouen et dont le chantier s'est retrouvé bloqué a été mis en suspens après coup. Une lutte contre un projet routier en Haute-Loire s'est relancée à cette occasion. Bien d'autres, comme celles sur l'avenir des terres de Gonesse, contre les nouvelles fermes-industrielles de 200 000 poulets dans le Finistère ou l’usine d’engrais de synthèse Yara vont se poursuivre....
Nous savons qu'obtenir des victoires concrètes nécessitera de revenir régulièrement sur ces lieux, d’en habiter certains, d’en faire muter d’autres, de continuer à se coordonner dans un mouvement qui ne peut être que mondial et de lancer de nouvelles vagues de mobilisations encore plus amples et déterminées. C’est seulement à cette condition que nous parviendrons peut-être à préserver des conditions d’existence désirables sur terre, pour nous comme pour le reste du vivant, hors du nihilisme économique.
D'autant que les trois derniers mois n'ont fait que confirmer le cynisme absolu des dirigeants politiques et des puissances économiques, au fur et à mesure que les signes explosifs des ravages du système se multipliaient. Aux feux de forêt gigantesques qui frappent tous les continents, aux sécheresses intenses qui menacent le système agricole dans son intégralité, à la publication des dernières simulations climatiques encore plus alarmistes (2), ils ont répondu par la reprise rapide du trafic aérien, des marchés financiers, de la spéculation sur la faim, et ce malgré l'épidémie. Aux licenciements massifs, à la précarisation de milliers de salarié-e-s laissés sur le carreau, ils ont répliqué par de nouveaux cadeaux aux entreprises, sans même envisager de contreparties sociales ou environnementales. À la catastrophe de Beyrouth, à l'annonce de l'extinction des deux tiers des espèces sauvages, à la révélation sur les rejets de Lafarge dans la Seine, ils ont répondu par la reprise de l'usage des néonicotinoïdes dans les champs, maintenu la production d'engrais au nitrate d'amonium et validé l'exportation dans le reste du monde des pires pesticides interdits en Europe. Face aux soulèvements mondiaux contre le racisme systémique et les violences policières, nous les avons vus malgré tout durcir encore les politiques sécuritaires.
Nous faisons face à des enjeux décisifs. 100 milliards d'euros vont être injectés dans l'économie française en deux ans sous forme de plans de "relance", pour faire vivre à tout prix le mythe de la croissance quelques années de plus, quelques mois peut-être, à un coût écologique et social désastreux. 78 nouveaux projets de « réindustrialisation » clés en main, court-circuitant les protections environnementales, sont déjà annoncés : bien souvent sur des sites encore non artificialisés. (3) L’acharnement dans un modèle prédateur ne peut représenter une perspective enviable pour celles et ceux qui souffrent déjà de l’exploitation, avec ou sans travail. Seules de profondes reconfigurations dans le rapport à la production et aux formes d’organisation sociale peuvent de nouveau offrir des perspectives d’activités et d’emplois porteuses de sens, que ce soit en ville ou dans les campagnes. Dans les dix prochaines années, un agriculteur sur deux va partir en retraite, et ce sont alors un quart des terres cultivables nationales qui vont changer de main. Sans une bataille foncière acharnée qui allie vocations paysannes et déterminations environnementales, elles iront soit à l’agrandissement des exploitations industrielles, soit à la bétonisation.
Nous pourrions rester effaré.e.s, enlisé.e.s dans le sentiment qu'il est déjà trop tard. Mais nous pouvons aussi parier sur la puissance d’un sentiment de révolte partagéet d’une exigence de conséquencequi puisse enfin bouleverser radicalement la donne. L'année a déjà été marquée par quelques victoires de luttes ancrées - liant résistances directes de terrain, mobilisations larges et recours juridiques : abandon d'Europacity sur les terres de Gonesse et de l'urbanisation menaçant les Lentillères à Dijon, du Center Park en gestation dans la forêt de Roybon et de l'A45 entre Lyon et Saint-Etienne...Nous devons passer un seuil.Misons fermement sur le fait qu'il devienne dorénavant de plus en plus difficile pour eux de légitimer des projets destructeurs de milieux vivants. Parions que partout où des luttes déterminées viendront y faire obstacle, nous les forcerons dorénavant à renoncer!
Quant à l'existant et dans la foulée des initiatives liées à l’anniversaire de l'explosion de Lubrizol (4), nous appelons les habitant.e.s des villes et des campagnes àinformeret accentuer localement la pression sur les secteurs qui leur semblent le plus évidemment toxiques et dispensables: cimenteries, usines de pesticides ou productions de gaz et grenades de la police, industrie aéronautique, publicitaire ou construction de plates-formes Amazon sur des terres arables, unités d'élevage industriel, développements de l'industrie nucléaire, clusters développant la numérisation de l’existence et un monde sans contact avec le vivant...
Nous appelons à renforcer, chemin faisant, des liens avec les travailleurs qui dépendent économiquement de ces secteurs de productions et chantiers. L’urgence sociale, c’est de penser avec elles et eux les mutations possibles des activités nécessitant un maintien des revenus et droits acquis, les réappropriations nécessaires des lieux de travail, ainsi que les rapports de force à engager pour garantir des ressources pendant les périodes de transition.
Nous appelons donc enfin le 17 novembre à une seconde série d’actions, blocages, rassemblements et occupations contre les lieux de production, de fabrication ou de transformation ainsi que tout autre bâtiment ou infrastructure profondément nuisibles qu'il nous faut mettre à l'arrêt. Mais si nous visons sérieusement à nous défaire de pans conséquents du monde marchand, il nous faut conjointement nous doter des formes d’autonomies à même de répondre à nos besoins fondamentaux.Nous appelons donc également à des occupations de terres en villes ou dans les zones péri-urbaines pour des projets de cultures vivrières, ainsi qu’à des réquisitions d'espaces d'entraide, de soin, de redistribution et de création. Il n'y aura pas de "tournant" sans que l'on construise ici et maintenant des formes de vie pleines de sens et bien plus désirables que celles inféodées aux besoins du marché.
Ensemble, mettons un coup d'arrêt partout à leurs projets destructeurs !
La faillite des médias
Écrit par Marc Web
Michel Midi Spécial Coronavirus
Investig'Action
Désinformation
Écrit par Marc Web
Le ministère de l’Intérieur a publié ce dimanche 7 juin 2020 les résultats complets d’une enquête menée en 2019 sur « la qualité du lien entre la population et les forces de sécurité intérieure »
Le 3 juin dernier devant les sénateurs, le ministre de l’Intérieur a mis en avant un chiffre issu d’une récente enquête commandée par la Place Beauvau selon laquelle 84,9 % des personnes interrogées ont une « image positive » des forces de sécurité intérieure (police et gendarmerie).
Les résultats complets de cette enquête à la méthodologie particulièreont été publiés ce dimanche 7 juin.
Si plusieurs enquêtes et sondages menés ces dernières années font effectivement état d’une image plutôt positive au sein de la population, d’importantes variations existent en fonction de la catégorie de population interrogée et de l’expérience vécue par ces personnes.
ce n’est pas 48.134personnes qui ont répondu (il s’agit en réalité du nombre de « contacts » lancés pour participer à l’enquête) mais seulement 12.822 personnes âgées de 18 ans ou plus réparties sur l’ensemble du territoire.
Mais la méthodologie de cette enquête nationale mérite d’être détaillée. Aucun des participants n’a été tiré au sort comme c’est parfois le cas lors d’enquêtes sociologiques. Pour participer, les enquêtés devaient se connecter à un site dédié, imprimer et remplir un coupon puis le déposer dans un commissariat de police ou une gendarmerie.
Il s’agit donc de « répondants volontaires » informés soit grâce aux 8.000 affiches diffusées dans divers lieux publics et services de police, soit contactés par des policiers (DCPP ou référent police-population) directement lors d’opérations menées dans des centres commerciaux, par exemple.
Pour avoir une idée plus précise de la relation 'police citoyen(ne)' vous avez en pièce jointe le rapport annuel de Jacques Toubon défenseur des droits.
« Monde d’après » : le déséquilibre flagrant du débat médiatique
Écrit par Marc Web
Au cours du mois de mai, les médias se sont emparés du débat sur le « monde d’après » – après la crise du coronavirus, s’entend. Et sans surprise, sur les grandes chaînes télévisées et stations de radio, certaines voix (libérales) ont bénéficié d’un écho beaucoup plus important [1]. Un « deux poids, deux mesures » particulièrement frappant si l’on compare la couverture de deux séries de propositions : la note de l’Institut Montaigne, think tank patronal, sur le temps de travail ; et les mesures proposées par un panel exceptionnel d’organisations progressistes.
Mardi 26 mai, 19 organisations associatives et syndicales publiaient, à l’initiative de la CGT, d’Attac et de Greenpeace, un « plan de sortie de crise » pour « répondre aux urgences sanitaires, sociales, écologiques et fiscales ». Une initiative singulière par le périmètre large des signataires rassemblant organisations écologistes (dont Greenpeace, Amis de la terre, Alternatiba), associations (dont Attac, Oxfam, CCFD, DAL) et syndicats (dont CGT, Solidaires, FSU, UNEF, Confédération Paysanne ou le Syndicat de la magistrature). Et qui avance des propositions de rupture, précises et chiffrées, visant à promouvoir « des alternatives au capitalisme néolibéral, productiviste et autoritaire ».
Quelques semaines plus tôt, le 6 mai, l’Institut Montaigne publiait une note intitulée « Rebondir face au Covid-19 : l’enjeu du temps de travail ». Le think-tank patronal, jouissant de moyens et d’un entregent de premier plan, y détaillait neuf propositions « pour adapter le temps de travail en contexte de crise ». Un concentré de pensée libérale, resucée de recettes du Medef destinées à augmenter le temps de travail, qui a bénéficié d’un important coup de projecteur médiatique sur lequel nous sommes revenus dans un précédent article.
Diamétralement opposées sur le fond, ces programmes de sortie de crise s’inscrivent tous deux dans le débat sur le « monde d’après ». Ils représentent des forces sociales importantes : la note Montaigne fait état d’une réflexion d’inspiration patronale ; le plan CGT-Attac-Greenpeace des propositions d’une partie significative du mouvement social.
La crise du coronavirus ayant remis profondément en question la gestion libérale des sociétés associée à la mondialisation, on pouvait légitimement s’attendre à ce que le débat sur « le monde d’après » mette en avant des projets alternatifs. Or, pour l’instant, c’est tout le contraire que l’on a pu constater. Si les deux « plans » ont respectivement fait l’objet d’une dépêche AFP, une simple comparaison de la réception des deux séries de propositions par la presse nationale, les journaux télévisés et émissions de débat des chaînes de télévision et chroniques et débats des stations de radio révèle un déséquilibre flagrant dans leur médiatisation.
Sur le plan strictement quantitatif, on constate un déséquilibre important dans la médiatisation des propositions de l’Institut Montaigne et du plan des associations et syndicats. Si la presse écrite a rendu compte des deux projets (quoique plus volontiers par le biais de reprises de dépêches AFP dans le cas du plan CGT-Attac-Greenpeace), le déséquilibre est particulièrement flagrant s’agissant des médias audiovisuels. Les auteurs de la note Montaigne ont fait le tour des plateaux de télévision et de radio : 3 fois sur BFM-TV, 2 fois sur RMC et Sud Radio, une fois sur LCI et CNews. L’un d’entre eux, Laurent Bigorgne, a même été interviewé dans le JT de France 2. Les porte-parole des associations et syndicats ont du se « contenter » d’une interview sur RT et dans le « live » de Mediapart. Il est clair qu’en comparaison des millions de personnes qui auront pris connaissance du projet Montaigne (ne serait-ce qu’à travers le JT de France 2), l’autre sera presque passé inaperçu.
***
La mythologie journalistique voudrait que les médias soient les organisateurs neutres, objectifs du débat démocratique. Il suffit pourtant de lire la presse, d’écouter la radio ou de regarder la télévision pour mesurer le fossé qui sépare ce discours de la réalité. La crise du coronavirus n’a strictement rien changé (sinon en pire !) : nous avions déjà pointé comment les économistes à gages et autres chantres du libéralisme ont conservé contre vents et marées leurs prébendes médiatiques, et continuent plus que jamais de sévir dans les médias. La diffusion outrancièrement favorable au patronat des propositions pour « le monde d’après » est une autre illustration accablante de la misère du pluralisme médiatique. Si un autre monde est possible, d’autres médias le sont aussi. Pour qu’un autre monde soit possible, d’autres médias sont nécessaires.
Les citoyens demandent une agriculture plus durable
Écrit par Marc Web
Les citoyens plébiscitent une agriculture alternative, des modes de transport moins polluants ou encore plus de moyens pour les hôpitaux après la pandémie, selon une consultation lancée par le WWF et la Croix-Rouge, à laquelle ont participé 165 000 personnes.
Cette consultation, menée avec make.org, le groupe SOS, UnisCités et MouvementUp, « pour construire ensemble le monde d’après la crise Covid-19 », était ouverte du 10 avril au 25 mai.
165 000 personnes, dont 60% de femmes, y ont pris part et ont émis 20 000 propositions et 1,7 million de votes, selon un communiqué de presse.
Quatorze grandes idées s’en dégagent: « favoriser la consommation locale et les circuits de proximité », « se diriger vers une agriculture alternative », « limiter la production des déchets et favoriser le recyclage », « relocaliser certains secteurs économiques stratégiques en France et en Europe », « mettre l’environnement et le social au cœur des politiques publiques et de la fiscalité », « limiter les transports polluants », « mieux considérer les métiers essentiels » ou encore « donner plus de moyens aux hôpitaux ». Exclu : ce que contient le plan de « relance verte » européen
Le plan de relance écologique de l’UE prévoit de faire pleuvoir des milliards sur la rénovation des bâtiments, les énergies renouvelables et l’hydrogène, ainsi que sur le ferroviaire et l’économie circulaire, selon un document de travail obtenu par Euractiv.
D’autres idées sont en revanche plus controversées, comme celle d’un revenu universel, interdire le déploiement de la 5G, ou modifier l’impôt sur le revenu et le patrimoine pour cibler les plus riches.
« Il y a eu une énorme participation » et « une certaine compréhension des défis à venir », commente Pierre Cannet de WWF France.
Pour l’ONG, le résultat de cette consultation offre « un socle sur lequel on pourra s’appuyer pour formuler des mesures » pour orienter les plans de relance en train d’être élaborés par les États pour relancer leurs économies, explique-t-il à l’AFP.
À l’heure où la France, mais aussi l’Union européenne dans son ensemble, mettent des sommes colossales sur la table pour relancer l’économie, « cette consultation doit nous alimenter par rapport aux réponses apportées », poursuit Pierre Cannet. Bruxelles propose un plan de relance historique de 750 milliards d'euros
La Commission européenne a proposé un plan de relance budgétaire sans précédent de 750 milliards d’euros, constitué essentiellement de subventions non remboursables, afin de permettre à l’Union de surmonter la récession la plus grave de son histoire.
« Aujourd’hui, ce qui manque en France, c’est une vision d’ensemble : les plans de sauvetage ne sont pas des plans de transformation, transformation appelée par les citoyens dans leurs propositions », ajoute-t-il.
« Les solutions se trouvent dans les dynamiques de territoires et la confiance retrouvée dans les acteurs associatifs, économiques, sociaux et politiques de proximité », estime Jean-Christophe Combe, directeur général de la Croix-Rouge française, cité dans le communiqué.
Communiqué [Presse]
Écrit par Marc Web
[
Nous reproduisons une tribuneintitulée « Pour un renouveau de la liberté de la presse le jour d’après » publiée conjointement par Arrêt sur images, Là-bas si j’y suis, La Télé libre, Le Média, Frustration, Le Vent se lève, Next Inpact et Reporterre.
La députée LREM des Yvelines Aurore Bergé, rapporteuse générale du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle, propose la mise en place d’un crédit d’impôt sur les dépenses publicitaires. Cette mesure serait, selon elle, un moyen de soutenir les médias en difficulté.
En tant que médias indépendants, reposant pour leur travail sur les ressources que nous apportent nos lectrices et lecteurs par leurs dons ou par leurs abonnements, nous nous opposons fermement à cette proposition qui, si elle était appliquée, représenterait une distorsion de concurrence inacceptable. Depuis des années, nous nous battons pour une information libre, et gagnons la confiance croissante d’un public qui comprend que l’indépendance est la garantie d’un vrai débat démocratique.
Nous critiquons la presse dominante qui est massivement détenue par des banques, opérateurs des télécoms, entreprises du luxe et autres entreprises d’armement. Non contente de bénéficier de subventions d’Etat qui pouvaient avoir un sens à une époque antérieure, elle continue à se reposer sur la publicité. Dans la situation extraordinaire que traverse en ce moment le monde, nous pensons qu’il faut que l’univers médiatique saisisse lui aussi la chance d’un renouveau pour ne pas répéter les errements d’un passé qui nous a conduit à la crise actuelle.
Nous proposons donc, plutôt qu’une subvention de plus, des états généraux des médias qui réfléchiront :
- à l’indépendance des sociétés de journalistes ; - à la création d’un fonds de soutien équitable à la presse gérée par une instance indépendante du gouvernement ; - à une loi interdisant la possession de plusieurs médias.
Arrêt sur images, Là-bas si j’y suis, Le Média, Frustration, Le Vent se lève, Next INpact, Reporterre
« La lutte contre la surveillance est un anticapitalisme »
Écrit par Romain Haillard
La lutte contre les technologies de surveillance est indissociable de celle contre le capitalisme, estime Christophe Masutti, membre de l’association d’éducation populaire Framasoft.
Drôle d’époque. Des drones survolent nos têtes pour nous intimer de rester chez nous ; nos téléphones caftent nos déplacements aux opérateurs télécoms, qui eux-mêmes caftent aux décideurs ; des multitudes d’acteurs économiques trouvent des « solutions » technologiques aux problématiques liées au coronavirus ; les géants du numérique épaulent nos gouvernements pour mieux nous surveiller. À la manière de Michel Foucault, Christophe Masutti réalise une archéologie du capitalisme de surveillance dans Affaires privées, chez C&F Éditions. Selon le membre administrateur du réseau d’éducation populaire Framasoft, formuler une critique de la surveillance aujourd’hui ne peut plus se faire sans l’adosser à un anticapitalisme farouche.
Est-il toujours pertinent de différencier surveillance d’État et capitalisme de surveillance ?
Christophe Masutti : Les solutions développées par le capitalisme de surveillance deviennent des instruments de gouvernance. Ces marchands de la surveillance vont faire croire aux technocrates qu’il y aura un moyen d’automatiser des processus coûteux dans un moment où tout doit concourir à la réduction de la dépense, et donc à la réduction de l’État.
Mais il y aura toujours besoin de -l’humain. Quand nous voyons l’état de l’hôpital aujourd’hui, l’utilité des machines se voit vite dépassée. Comme l’idée de faire un traçage des individus avec l’application StopCovid.
C’est l’idée du solutionnisme technologique. Tout problème, économique ou politique, pourrait trouver une réponse technologique. Cette conception domine la Silicon Valley et a fait des émules – nos gouvernants n’y échappent pas. Cette idéologie qui ne se revendique pas comme telle affaiblit le pouvoir politique. Les décisions devraient s’enfermer dans des choix techniques dépolitisés.
Macron et la startup nation se marient bien à cette dépolitisation. Mais quand nous dépolitisons, nous n’agissons plus par conviction – de droite comme de gauche. Ne reste plus que l’État seul, hors sol, plus que la technocratie.
La frontière entre ces deux surveillances apparaît donc de plus en plus ténue ?
Au point de ne plus pouvoir faire la différence. Il ne faut pas s’étonner de voir de plus en plus de pantouflage entre l’administration et les géants du numérique, par exemple. Peu à peu, il y a un glissement, une délégation des fonctions régaliennes à des agences qui ont la capacité de fournir une solution technologique. Prenez par exemple le représentant de Facebook en France. À la suite des attentats contre Charlie Hebdo, il a fait une présentation à Sciences Po Paris de son système de surveillance contre les fausses informations en ligne.
Le choix du lieu n’est pas anodin. Le danger, c’est de ne plus gouverner classiquement et de s’engouffrer dans une expertise de la mesure.
En quoi cette expertise de la mesure peut-elle être faussée – en opposition à l’idée d’une machine surpassant l’homme ?
Faisons une analogie avec la cartographie. Nous avons toujours eu besoin de cartes pour gouverner. Il faut une représentation du pays, de son territoire. Mais la carte n’est pas le territoire, c’en est une représentation. Les prophètes du solutionnisme ne confondent pas la carte avec le territoire, mais estiment qu’elle en serait une représentation fidèle. Ils tiennent des discours sur la représentation et non sur l’objet lui-même. La cartographie n’est pas neutre, comme le profilage ne l’est pas. Nos profils, nos doubles numériques ne sont qu’une représentation ultra-simplifiée de nous, et non pas notre reflet pur.
Comment défendre la prédation de nos profils numériques ?
Si nous envisageons la défense de nos données personnelles uniquement sous le prisme individuel, alors nous arrivons à des aberrations comme la patrimonialisation des données défendue par Gaspard Koenig. Prenons l’exemple du patrimoine génétique humain. Nous en sommes propriétaires, mais nous ne pouvons pas en faire commerce. C’est un patrimoine propre à chacun, mais aussi un patrimoine commun à l’humanité. Même chose pour nos données personnelles. Ces data se construisent par nos interactions et nos relations avec les autres. Défendre nos libertés individuelles alors, c’est défendre notre droit de disposer de nos données, collectivement.
Donc des protections comme le règlement général de protection des données (RGPD) apparaissent comme une mauvaise réponse au problème.
Cette réglementation prouve que nos institutions veulent agir, c’est une marque de bonne volonté. Mais le RGPD ne fait que formaliser le don du consentement. Prenons l’exemple d’Equifax aux États-Unis. Dans les années 1960 et 1970, cette société récoltait toute sorte d’informations sur des clients potentiels de compagnie d’assurances pour évaluer le risque de défaut de paiement. Ces informations étaient évidemment récoltées sans leur consentement. Ces méthodes ont choqué à l’époque et ont poussé à adopter une réglementation sur ces informations. Equifax a alors lancé « Buyer’s Market » en 1990. Les clients payaient un abonnement annuel de 10 dollars et donnaient sciemment leur profil, contre des coupons de réduction.
Les informations recueillies avec notre consentement permettent d’avoir une analyse encore plus fine de nos comportements. Grâce à l’onboarding, c’est-à-dire du reprofilage. Il est possible ensuite d’associer votre attitude à un moment t avec des jeux de données antérieures – glanées depuis des dizaines et des dizaines d’années par des sociétés comme Axciom. Donc, si vous donnez votre consentement, votre profil peut être reconstruit. Avant même les premières discussions sur le RGPD, le Boston Consulting Group, un cabinet de conseils en stratégie, prédisait en 2014 : « Dans un domaine aussi sensible que le big data, la confiance sera l’élément déterminant pour permettre à l’entreprise d’avoir le plus large accès possible aux données de ses clients, à condition qu’ils soient convaincus que ces données seront utilisées de façon loyale et contrôlée. » Le temps est malléable avec les data. Grâce à cet accès, vous êtes déterminés par ce que vous faites, ce que vous avez fait et ce que vous allez faire. C’est une construction où la notion de choix n’existe plus.
Soit un monde orwellien…
Attention à la dystopie orwellienne. Déjà, dans les années 1970, était brandie la peur d’une société sur le modèle de 1984. Nous n’avons plus à avoir peur de cette société : nous y sommes déjà. Ce chiffon rouge nous empêche de penser, de voir la réalité. La surveillance selon Orwell provenait d’une volonté étrangère à l’homme, pas de l’homme lui-même. Notre société de surveillance émane aussi de notre propre culture, de notre acculturation à l’informatique et donc à la surveillance.
Notre consentement, nous l’avons fabriqué.
Quels comportements trahissent notre acculturation à la surveillance ? Et comment s’en sortir ? Le plaisir d’aller sur Facebook. Le goût d’être partagé et aimé sur Twitter. Je prends un exemple plus ancien. Avant, il n’y avait pas de portiques antivol dans les supermarchés. Mes parents, quand ils les ont découverts, s’en sont offusqués : « Alors nous serions tous suspectés d’être des voleurs ? » Désormais, non seulement il y a les portiques, mais il y a aussi les caméras et un vigile à chaque entrée. Et peu de personnes pour revenir sur ce déploiement. Pour s’en sortir, j’ai ma recette : l’usage inconditionnel du chiffrement de nos données. L’utilisation de réseaux fédérés comme Mastodon à la place des Gafam. Et, enfin, utiliser au maximum des logiciels libres, construits sur la base du droit à partager et donc dans une idée d’émancipation collective.
La critique de la surveillance en dehors de toute critique anticapitaliste est-elle possible ?
Non. Pour la sociologue Shoshana Zuboff, notre capitalisme est « malade », alors il faudrait le réguler. Elle se focalise uniquement sur les Gafam, même si elle le fait avec un grand talent. Les Gafam mettraient en danger nos démocraties. Mais le problème est bien plus profond. Le modèle dans lequel nous nous trouvons est dépendant de ses infrastructures numériques : les ordinateurs, les réseaux…
Le capitalisme de surveillance ne vient pas de nulle part. Cette forme de libéralisme se fonde sur la transformation de l’information en un bien capitalisable. Le consumérisme, la surfinanciarisation reposent sur nos données comme bien, c’est systémique. Ne pas inscrire cette critique dans l’anticapitalisme, c’est oublier que cette surveillance se nourrit des inégalités sociales pour opérer un tri de la population.
L’analyse doit-elle se traduire dans les luttes ? Faut-il opposer à la surveillance une lecture anticapitaliste pour lutter efficacement contre ?
J’en suis persuadé. Et j’ajouterais que, ce qui est intéressant, ce ne sont pas les luttes en elles-mêmes, mais les contre-modèles mis en place dans le combat. La sociologue Marianne Maeckelbergh appelle cette démarche la « préfiguration ». Le fonctionnement du collectif devient aussi important que l’alternative proposée elle-même. Le mouvement altermondialiste, les gilets jaunes, les ZAD, la communauté libriste… Ces mouvements – qui ne sont pas aussi marginaux qu’on voudrait le croire – réfléchissent autant que leurs actions s’inscrivent dans la spontanéité. C’est un retour à ce que nous appelions l’action directe. Elle n’est pas forcément violente, elle peut être altruiste.
C’est le sens de ce que nous faisons à -Framasoft et dans la communauté du logiciel libre. Nous aimons dire : « faire, faire sans eux, faire contre eux, faire quand même ». Et notre communauté n’est pas à écarter des autres luttes. Il y a une archipellisation. Une pensée n’a de sens qu’à partir du moment où elle entre dans un dialogue. Tout ne doit pas s’uniformiser et se centraliser dans une doctrine unique. À l’image d’un archipel, il y a des îles, des faunes et des flores différentes, qui forment un « tout » hétérogène certes, mais un « tout » quand même.
Chistophe Masutti Docteur en histoire et en philosophie des sciences et des techniques