« Monde d’après » : le déséquilibre flagrant du débat médiatique
Écrit par Marc Web
Au cours du mois de mai, les médias se sont emparés du débat sur le « monde d’après » – après la crise du coronavirus, s’entend. Et sans surprise, sur les grandes chaînes télévisées et stations de radio, certaines voix (libérales) ont bénéficié d’un écho beaucoup plus important [1]. Un « deux poids, deux mesures » particulièrement frappant si l’on compare la couverture de deux séries de propositions : la note de l’Institut Montaigne, think tank patronal, sur le temps de travail ; et les mesures proposées par un panel exceptionnel d’organisations progressistes.
Mardi 26 mai, 19 organisations associatives et syndicales publiaient, à l’initiative de la CGT, d’Attac et de Greenpeace, un « plan de sortie de crise » pour « répondre aux urgences sanitaires, sociales, écologiques et fiscales ». Une initiative singulière par le périmètre large des signataires rassemblant organisations écologistes (dont Greenpeace, Amis de la terre, Alternatiba), associations (dont Attac, Oxfam, CCFD, DAL) et syndicats (dont CGT, Solidaires, FSU, UNEF, Confédération Paysanne ou le Syndicat de la magistrature). Et qui avance des propositions de rupture, précises et chiffrées, visant à promouvoir « des alternatives au capitalisme néolibéral, productiviste et autoritaire ».
Quelques semaines plus tôt, le 6 mai, l’Institut Montaigne publiait une note intitulée « Rebondir face au Covid-19 : l’enjeu du temps de travail ». Le think-tank patronal, jouissant de moyens et d’un entregent de premier plan, y détaillait neuf propositions « pour adapter le temps de travail en contexte de crise ». Un concentré de pensée libérale, resucée de recettes du Medef destinées à augmenter le temps de travail, qui a bénéficié d’un important coup de projecteur médiatique sur lequel nous sommes revenus dans un précédent article.
Diamétralement opposées sur le fond, ces programmes de sortie de crise s’inscrivent tous deux dans le débat sur le « monde d’après ». Ils représentent des forces sociales importantes : la note Montaigne fait état d’une réflexion d’inspiration patronale ; le plan CGT-Attac-Greenpeace des propositions d’une partie significative du mouvement social.
La crise du coronavirus ayant remis profondément en question la gestion libérale des sociétés associée à la mondialisation, on pouvait légitimement s’attendre à ce que le débat sur « le monde d’après » mette en avant des projets alternatifs. Or, pour l’instant, c’est tout le contraire que l’on a pu constater. Si les deux « plans » ont respectivement fait l’objet d’une dépêche AFP, une simple comparaison de la réception des deux séries de propositions par la presse nationale, les journaux télévisés et émissions de débat des chaînes de télévision et chroniques et débats des stations de radio révèle un déséquilibre flagrant dans leur médiatisation.
Sur le plan strictement quantitatif, on constate un déséquilibre important dans la médiatisation des propositions de l’Institut Montaigne et du plan des associations et syndicats. Si la presse écrite a rendu compte des deux projets (quoique plus volontiers par le biais de reprises de dépêches AFP dans le cas du plan CGT-Attac-Greenpeace), le déséquilibre est particulièrement flagrant s’agissant des médias audiovisuels. Les auteurs de la note Montaigne ont fait le tour des plateaux de télévision et de radio : 3 fois sur BFM-TV, 2 fois sur RMC et Sud Radio, une fois sur LCI et CNews. L’un d’entre eux, Laurent Bigorgne, a même été interviewé dans le JT de France 2. Les porte-parole des associations et syndicats ont du se « contenter » d’une interview sur RT et dans le « live » de Mediapart. Il est clair qu’en comparaison des millions de personnes qui auront pris connaissance du projet Montaigne (ne serait-ce qu’à travers le JT de France 2), l’autre sera presque passé inaperçu.
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La mythologie journalistique voudrait que les médias soient les organisateurs neutres, objectifs du débat démocratique. Il suffit pourtant de lire la presse, d’écouter la radio ou de regarder la télévision pour mesurer le fossé qui sépare ce discours de la réalité. La crise du coronavirus n’a strictement rien changé (sinon en pire !) : nous avions déjà pointé comment les économistes à gages et autres chantres du libéralisme ont conservé contre vents et marées leurs prébendes médiatiques, et continuent plus que jamais de sévir dans les médias. La diffusion outrancièrement favorable au patronat des propositions pour « le monde d’après » est une autre illustration accablante de la misère du pluralisme médiatique. Si un autre monde est possible, d’autres médias le sont aussi. Pour qu’un autre monde soit possible, d’autres médias sont nécessaires.
Les citoyens demandent une agriculture plus durable
Écrit par Marc Web
Les citoyens plébiscitent une agriculture alternative, des modes de transport moins polluants ou encore plus de moyens pour les hôpitaux après la pandémie, selon une consultation lancée par le WWF et la Croix-Rouge, à laquelle ont participé 165 000 personnes.
Cette consultation, menée avec make.org, le groupe SOS, UnisCités et MouvementUp, « pour construire ensemble le monde d’après la crise Covid-19 », était ouverte du 10 avril au 25 mai.
165 000 personnes, dont 60% de femmes, y ont pris part et ont émis 20 000 propositions et 1,7 million de votes, selon un communiqué de presse.
Quatorze grandes idées s’en dégagent: « favoriser la consommation locale et les circuits de proximité », « se diriger vers une agriculture alternative », « limiter la production des déchets et favoriser le recyclage », « relocaliser certains secteurs économiques stratégiques en France et en Europe », « mettre l’environnement et le social au cœur des politiques publiques et de la fiscalité », « limiter les transports polluants », « mieux considérer les métiers essentiels » ou encore « donner plus de moyens aux hôpitaux ». Exclu : ce que contient le plan de « relance verte » européen
Le plan de relance écologique de l’UE prévoit de faire pleuvoir des milliards sur la rénovation des bâtiments, les énergies renouvelables et l’hydrogène, ainsi que sur le ferroviaire et l’économie circulaire, selon un document de travail obtenu par Euractiv.
D’autres idées sont en revanche plus controversées, comme celle d’un revenu universel, interdire le déploiement de la 5G, ou modifier l’impôt sur le revenu et le patrimoine pour cibler les plus riches.
« Il y a eu une énorme participation » et « une certaine compréhension des défis à venir », commente Pierre Cannet de WWF France.
Pour l’ONG, le résultat de cette consultation offre « un socle sur lequel on pourra s’appuyer pour formuler des mesures » pour orienter les plans de relance en train d’être élaborés par les États pour relancer leurs économies, explique-t-il à l’AFP.
À l’heure où la France, mais aussi l’Union européenne dans son ensemble, mettent des sommes colossales sur la table pour relancer l’économie, « cette consultation doit nous alimenter par rapport aux réponses apportées », poursuit Pierre Cannet. Bruxelles propose un plan de relance historique de 750 milliards d'euros
La Commission européenne a proposé un plan de relance budgétaire sans précédent de 750 milliards d’euros, constitué essentiellement de subventions non remboursables, afin de permettre à l’Union de surmonter la récession la plus grave de son histoire.
« Aujourd’hui, ce qui manque en France, c’est une vision d’ensemble : les plans de sauvetage ne sont pas des plans de transformation, transformation appelée par les citoyens dans leurs propositions », ajoute-t-il.
« Les solutions se trouvent dans les dynamiques de territoires et la confiance retrouvée dans les acteurs associatifs, économiques, sociaux et politiques de proximité », estime Jean-Christophe Combe, directeur général de la Croix-Rouge française, cité dans le communiqué.
Communiqué [Presse]
Écrit par Marc Web
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Nous reproduisons une tribuneintitulée « Pour un renouveau de la liberté de la presse le jour d’après » publiée conjointement par Arrêt sur images, Là-bas si j’y suis, La Télé libre, Le Média, Frustration, Le Vent se lève, Next Inpact et Reporterre.
La députée LREM des Yvelines Aurore Bergé, rapporteuse générale du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle, propose la mise en place d’un crédit d’impôt sur les dépenses publicitaires. Cette mesure serait, selon elle, un moyen de soutenir les médias en difficulté.
En tant que médias indépendants, reposant pour leur travail sur les ressources que nous apportent nos lectrices et lecteurs par leurs dons ou par leurs abonnements, nous nous opposons fermement à cette proposition qui, si elle était appliquée, représenterait une distorsion de concurrence inacceptable. Depuis des années, nous nous battons pour une information libre, et gagnons la confiance croissante d’un public qui comprend que l’indépendance est la garantie d’un vrai débat démocratique.
Nous critiquons la presse dominante qui est massivement détenue par des banques, opérateurs des télécoms, entreprises du luxe et autres entreprises d’armement. Non contente de bénéficier de subventions d’Etat qui pouvaient avoir un sens à une époque antérieure, elle continue à se reposer sur la publicité. Dans la situation extraordinaire que traverse en ce moment le monde, nous pensons qu’il faut que l’univers médiatique saisisse lui aussi la chance d’un renouveau pour ne pas répéter les errements d’un passé qui nous a conduit à la crise actuelle.
Nous proposons donc, plutôt qu’une subvention de plus, des états généraux des médias qui réfléchiront :
- à l’indépendance des sociétés de journalistes ; - à la création d’un fonds de soutien équitable à la presse gérée par une instance indépendante du gouvernement ; - à une loi interdisant la possession de plusieurs médias.
Arrêt sur images, Là-bas si j’y suis, Le Média, Frustration, Le Vent se lève, Next INpact, Reporterre
« La lutte contre la surveillance est un anticapitalisme »
Écrit par Romain Haillard
La lutte contre les technologies de surveillance est indissociable de celle contre le capitalisme, estime Christophe Masutti, membre de l’association d’éducation populaire Framasoft.
Drôle d’époque. Des drones survolent nos têtes pour nous intimer de rester chez nous ; nos téléphones caftent nos déplacements aux opérateurs télécoms, qui eux-mêmes caftent aux décideurs ; des multitudes d’acteurs économiques trouvent des « solutions » technologiques aux problématiques liées au coronavirus ; les géants du numérique épaulent nos gouvernements pour mieux nous surveiller. À la manière de Michel Foucault, Christophe Masutti réalise une archéologie du capitalisme de surveillance dans Affaires privées, chez C&F Éditions. Selon le membre administrateur du réseau d’éducation populaire Framasoft, formuler une critique de la surveillance aujourd’hui ne peut plus se faire sans l’adosser à un anticapitalisme farouche.
Est-il toujours pertinent de différencier surveillance d’État et capitalisme de surveillance ?
Christophe Masutti : Les solutions développées par le capitalisme de surveillance deviennent des instruments de gouvernance. Ces marchands de la surveillance vont faire croire aux technocrates qu’il y aura un moyen d’automatiser des processus coûteux dans un moment où tout doit concourir à la réduction de la dépense, et donc à la réduction de l’État.
Mais il y aura toujours besoin de -l’humain. Quand nous voyons l’état de l’hôpital aujourd’hui, l’utilité des machines se voit vite dépassée. Comme l’idée de faire un traçage des individus avec l’application StopCovid.
C’est l’idée du solutionnisme technologique. Tout problème, économique ou politique, pourrait trouver une réponse technologique. Cette conception domine la Silicon Valley et a fait des émules – nos gouvernants n’y échappent pas. Cette idéologie qui ne se revendique pas comme telle affaiblit le pouvoir politique. Les décisions devraient s’enfermer dans des choix techniques dépolitisés.
Macron et la startup nation se marient bien à cette dépolitisation. Mais quand nous dépolitisons, nous n’agissons plus par conviction – de droite comme de gauche. Ne reste plus que l’État seul, hors sol, plus que la technocratie.
La frontière entre ces deux surveillances apparaît donc de plus en plus ténue ?
Au point de ne plus pouvoir faire la différence. Il ne faut pas s’étonner de voir de plus en plus de pantouflage entre l’administration et les géants du numérique, par exemple. Peu à peu, il y a un glissement, une délégation des fonctions régaliennes à des agences qui ont la capacité de fournir une solution technologique. Prenez par exemple le représentant de Facebook en France. À la suite des attentats contre Charlie Hebdo, il a fait une présentation à Sciences Po Paris de son système de surveillance contre les fausses informations en ligne.
Le choix du lieu n’est pas anodin. Le danger, c’est de ne plus gouverner classiquement et de s’engouffrer dans une expertise de la mesure.
En quoi cette expertise de la mesure peut-elle être faussée – en opposition à l’idée d’une machine surpassant l’homme ?
Faisons une analogie avec la cartographie. Nous avons toujours eu besoin de cartes pour gouverner. Il faut une représentation du pays, de son territoire. Mais la carte n’est pas le territoire, c’en est une représentation. Les prophètes du solutionnisme ne confondent pas la carte avec le territoire, mais estiment qu’elle en serait une représentation fidèle. Ils tiennent des discours sur la représentation et non sur l’objet lui-même. La cartographie n’est pas neutre, comme le profilage ne l’est pas. Nos profils, nos doubles numériques ne sont qu’une représentation ultra-simplifiée de nous, et non pas notre reflet pur.
Comment défendre la prédation de nos profils numériques ?
Si nous envisageons la défense de nos données personnelles uniquement sous le prisme individuel, alors nous arrivons à des aberrations comme la patrimonialisation des données défendue par Gaspard Koenig. Prenons l’exemple du patrimoine génétique humain. Nous en sommes propriétaires, mais nous ne pouvons pas en faire commerce. C’est un patrimoine propre à chacun, mais aussi un patrimoine commun à l’humanité. Même chose pour nos données personnelles. Ces data se construisent par nos interactions et nos relations avec les autres. Défendre nos libertés individuelles alors, c’est défendre notre droit de disposer de nos données, collectivement.
Donc des protections comme le règlement général de protection des données (RGPD) apparaissent comme une mauvaise réponse au problème.
Cette réglementation prouve que nos institutions veulent agir, c’est une marque de bonne volonté. Mais le RGPD ne fait que formaliser le don du consentement. Prenons l’exemple d’Equifax aux États-Unis. Dans les années 1960 et 1970, cette société récoltait toute sorte d’informations sur des clients potentiels de compagnie d’assurances pour évaluer le risque de défaut de paiement. Ces informations étaient évidemment récoltées sans leur consentement. Ces méthodes ont choqué à l’époque et ont poussé à adopter une réglementation sur ces informations. Equifax a alors lancé « Buyer’s Market » en 1990. Les clients payaient un abonnement annuel de 10 dollars et donnaient sciemment leur profil, contre des coupons de réduction.
Les informations recueillies avec notre consentement permettent d’avoir une analyse encore plus fine de nos comportements. Grâce à l’onboarding, c’est-à-dire du reprofilage. Il est possible ensuite d’associer votre attitude à un moment t avec des jeux de données antérieures – glanées depuis des dizaines et des dizaines d’années par des sociétés comme Axciom. Donc, si vous donnez votre consentement, votre profil peut être reconstruit. Avant même les premières discussions sur le RGPD, le Boston Consulting Group, un cabinet de conseils en stratégie, prédisait en 2014 : « Dans un domaine aussi sensible que le big data, la confiance sera l’élément déterminant pour permettre à l’entreprise d’avoir le plus large accès possible aux données de ses clients, à condition qu’ils soient convaincus que ces données seront utilisées de façon loyale et contrôlée. » Le temps est malléable avec les data. Grâce à cet accès, vous êtes déterminés par ce que vous faites, ce que vous avez fait et ce que vous allez faire. C’est une construction où la notion de choix n’existe plus.
Soit un monde orwellien…
Attention à la dystopie orwellienne. Déjà, dans les années 1970, était brandie la peur d’une société sur le modèle de 1984. Nous n’avons plus à avoir peur de cette société : nous y sommes déjà. Ce chiffon rouge nous empêche de penser, de voir la réalité. La surveillance selon Orwell provenait d’une volonté étrangère à l’homme, pas de l’homme lui-même. Notre société de surveillance émane aussi de notre propre culture, de notre acculturation à l’informatique et donc à la surveillance.
Notre consentement, nous l’avons fabriqué.
Quels comportements trahissent notre acculturation à la surveillance ? Et comment s’en sortir ? Le plaisir d’aller sur Facebook. Le goût d’être partagé et aimé sur Twitter. Je prends un exemple plus ancien. Avant, il n’y avait pas de portiques antivol dans les supermarchés. Mes parents, quand ils les ont découverts, s’en sont offusqués : « Alors nous serions tous suspectés d’être des voleurs ? » Désormais, non seulement il y a les portiques, mais il y a aussi les caméras et un vigile à chaque entrée. Et peu de personnes pour revenir sur ce déploiement. Pour s’en sortir, j’ai ma recette : l’usage inconditionnel du chiffrement de nos données. L’utilisation de réseaux fédérés comme Mastodon à la place des Gafam. Et, enfin, utiliser au maximum des logiciels libres, construits sur la base du droit à partager et donc dans une idée d’émancipation collective.
La critique de la surveillance en dehors de toute critique anticapitaliste est-elle possible ?
Non. Pour la sociologue Shoshana Zuboff, notre capitalisme est « malade », alors il faudrait le réguler. Elle se focalise uniquement sur les Gafam, même si elle le fait avec un grand talent. Les Gafam mettraient en danger nos démocraties. Mais le problème est bien plus profond. Le modèle dans lequel nous nous trouvons est dépendant de ses infrastructures numériques : les ordinateurs, les réseaux…
Le capitalisme de surveillance ne vient pas de nulle part. Cette forme de libéralisme se fonde sur la transformation de l’information en un bien capitalisable. Le consumérisme, la surfinanciarisation reposent sur nos données comme bien, c’est systémique. Ne pas inscrire cette critique dans l’anticapitalisme, c’est oublier que cette surveillance se nourrit des inégalités sociales pour opérer un tri de la population.
L’analyse doit-elle se traduire dans les luttes ? Faut-il opposer à la surveillance une lecture anticapitaliste pour lutter efficacement contre ?
J’en suis persuadé. Et j’ajouterais que, ce qui est intéressant, ce ne sont pas les luttes en elles-mêmes, mais les contre-modèles mis en place dans le combat. La sociologue Marianne Maeckelbergh appelle cette démarche la « préfiguration ». Le fonctionnement du collectif devient aussi important que l’alternative proposée elle-même. Le mouvement altermondialiste, les gilets jaunes, les ZAD, la communauté libriste… Ces mouvements – qui ne sont pas aussi marginaux qu’on voudrait le croire – réfléchissent autant que leurs actions s’inscrivent dans la spontanéité. C’est un retour à ce que nous appelions l’action directe. Elle n’est pas forcément violente, elle peut être altruiste.
C’est le sens de ce que nous faisons à -Framasoft et dans la communauté du logiciel libre. Nous aimons dire : « faire, faire sans eux, faire contre eux, faire quand même ». Et notre communauté n’est pas à écarter des autres luttes. Il y a une archipellisation. Une pensée n’a de sens qu’à partir du moment où elle entre dans un dialogue. Tout ne doit pas s’uniformiser et se centraliser dans une doctrine unique. À l’image d’un archipel, il y a des îles, des faunes et des flores différentes, qui forment un « tout » hétérogène certes, mais un « tout » quand même.
Chistophe Masutti Docteur en histoire et en philosophie des sciences et des techniques
en pièce jointe un document sur les applis de tracage : des cas fictifs (hélas réalistes), les scénarios que les spécialistes nous proposent.
Naomi Klein : le coronavirus du capitalisme
Écrit par Là-bas si j'y suis
Une vidéo de Naomi Klein, auteure de La Stratégie du choc.
Montée d’un capitalisme du désastre, diffusée le 29 mars dans l’émission d’Amy Goodman,
« Democracy Now ! ».
traduite par Là-bas si j’y suis
Etiquetage des listes électorales
Écrit par Libération 31-01-20
Le Conseil d’Etat a annoncé ce vendredi 31/01/2020 la suspension partielle de la circulaire gouvernementale concernant l’étiquetage politique des listes présentées aux élections municipales.
L’institution a rejeté trois points particulièrement contestés par l’opposition : l’attribution d’une nuance politique uniquement dans les communes de plus de 9 000 habitants, la classification dans la nuance «divers centre» des listes soutenues par la majorité présidentielle, et la prise en compte des listes «Debout la France» dans le bloc «extrême droite».
Sur le volet le plus controversé, la circulaire du 10 décembre 2019, relevait de 1 000 à 9 000 habitants le seuil des communes à partir duquel les préfets sont appelés à procéder au «nuançage», c’est-à-dire à l’attribution d’une couleur politique des listes et candidats «à des fins d’analyse électorale».
Le Conseil d’Etat a estimé, «qu’une telle limitation [conduisait], dans plus de 95% des communes, à ne pas attribuer de nuance politique». «Cela exclut ainsi de la présentation nationale des résultats les suffrages exprimés par près de la moitié des électeurs», estime l’institution dans son communiqué.
L’association des maires ruraux, favorable à un changement, souhaitait, elle, relever le seuil pour les communes «de moins de 3 500 habitants», de nombreux élus ruraux estimant être mal étiquetés ou ne souhaitant pas l’être.
Pas d’exception pour les listes de la majorité
Concernant la création d’une nuance «divers centre», la circulaire prévoyait que «seule l’investiture par un parti politique, et non son simple soutien, permet d’attribuer une nuance politique à une liste», mais faisait une exception pour les listes soutenues par LREM, l’UDI ou le Modem, qui pouvaient être comptabilisées par la nuance «divers centre».
Le Conseil d’Etat a estimé que la mesure «instituait ainsi une différence de traitement entre les partis politiques, et méconnaissait dès lors le principe d’égalité» et l’a donc rejetée.
L’opposition, qui s’était mobilisée contre le projet de loi, a réagi avec satisfaction à la décision du Conseil d’Etat. «C’est un revers pour Castaner et une forte garantie pour la démocratie et la France des territoires. Le gouvernement a voulu museler la France des territoires en supprimant le nuançage dans 97% de nos communes.
C’est cette volonté de tripatouillage électoral qui a été sanctionnée», a fait savoir le président du groupe à l’Assemblée LR, Damien Abad, qui avait saisi l’institution sur cette question. «La démocratie a gagné aujourd’hui : nos concitoyen.ne.s sauront pour qui ils.elles votent et qui dirige leur commune», a également tweeté le Parti socialiste.
Nicolas Dupont-Aignan a lui publié une vidéo sur Twitter dans laquelle il revient notamment sur la disposition qui concernait son parti, Debout la France : «C'était une indignité. Cela montre qu'il y a une justice, et que le gouvernement a été trop loin. Tous les Français sauront que Debout la France n'est pas un parti d'extrême-droite».
Le ministre a quant à lui indiqué dans un communiqué que la circulaire serait «modifiée» en tenant compte de l’avis du Conseil, «sans renoncer à répondre aux demandes des élus locaux et à correspondre aux mutations du paysage politique français».
"Les médias se soucient de moins en moins de la vérité"
Écrit par La Croix
Frédéric Taddeï : "Les médias se soucient de moins en moins de la vérité"
MÉDIAS DANS L’ARÈNE. Pour ce huitième épisode de "Médias dans l’arène", Frédéric Taddeï, journaliste et animateur d'"Interdit d'Interdire", revient sur l’importance du débat dans les médias, ainsi que sur la position controversée de médias alternatifs comme RT France.
Un régime de retraite «universel»… sauf pour les riches!
Écrit par Marc Web
Dans un récent entretien donné à Libération *, Thomas Piketty a tenu des propos qui ont rapidement fait polémique. Et une certaine presse d’aussitôt dénoncer «l’arnaque» (Le Point, L’Opinion), la «boulette» (L’Express) de Piketty. J’ai voulu y voir de plus près.
Dans un récent entretien donné à Libération, Thomas Piketty a tenu des propos qui ont rapidement fait polémique. Et une certaine presse d’aussitôt dénoncer « l’arnaque » (Le Point, L’Opinion), la « boulette » (L’Express) de Piketty. J’ai voulu y voir de plus près.
Autant le dire d’entrée, ses propos ont effectivement été quelque peu approximatifs… Il reste que sur le fond, mais pour d’autres raisons que celles qu’il a avancées, sa conclusion est juste. C’est bien là l’important : Le régime universel que l’on veut nous vendre ne l’est pas, les riches en sont exemptés !
Pour l’essentiel, ce qui a fait débat dans ses propos est cette affirmation : « Dans cette réforme, on a par ailleurs très peu parlé du système de financement qui est derrière. Un truc énorme, c’est que le gouvernement propose un taux global de cotisation de 28 % jusqu’à 120 000 euros de salaire annuel, mais ensuite ça plonge d’un seul coup à 2,8 % ! Par rapport au système actuel, c’est une énorme baisse de cotisation pour les salaires entre 120 000 et 250 000 euros. C’est le nouveau "super Macron des riches".
1. Aujourd’hui : Un dispositif institutionnel compliqué.
Pour comprendre ce qui est en jeu, encore faut-il connaître la mécanique institutionnelle passablement complexe qui régit le financement actuel des retraites du secteur privé.
D’abord, le Régime général (RG), qui, via la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse (CNAV) gère les retraites de l’ensemble des salariés du privé (17,8 millions de cotisants, 14,1 millions de retraités) ne permet pas de s’assurer sur l’ensemble du salaire. Héritier en cela des Retraites Ouvrières et Paysannes de 1910, il a gardé de cette origine lointaine la notion de salaire plafond, à quoi la refondation de 1945 n’a rien changé.
Aujourd’hui encore, le RG ne liquide les retraites que dans le cadre de ce principe d’airain : une retraite « à taux plein » est calculée sur la base du salaire annuel moyen des 25 meilleures années, dans la limite de 50% du salaire plafond. Le salaire plafond 2020 vient tout juste d’être fixé : 3.428 €/mois, soit 41.136 €/an. Autant dire que, en conséquence, l’an prochain le Régime général ne versera en aucun cas de retraite supérieure à 3.428/2, soit 1714 €/mois.
Bien entendu une telle limitation est assez rapidement apparue insoutenable, et d’abord, bien sûr, pour les salaires les plus élevés. C’est pourquoi, dès 1947, les « partenaires sociaux » mirent en place de façon conventionnelle un dispositif de retraites complémentaires par points pour les cadres, l’AGIRC. De même, mais bien plus tardivement, devant les insuffisances du système de base, les mêmes définirent un second régime complémentaire, par points lui aussi, pour les non-cadres, l’ARRCO. Depuis le 1er janvier 2019, l’AGIRC et l’ARRCO ont fusionné en un seul et même régime et les cotisations cadres et non-cadre sont inscrites dans un processus de convergence progressive qui n’est pas encore achevé.
C’est ainsi, que le dispositif comprend aujourd’hui un régime de base et un régime complémentaire qui vient s’y ajouter, chacun ayant ses modalités propres de financement, elles-mêmes organisées autour de la notion de salaire plafond ; c’est ce que le tableau ci-dessous s’efforce de synthétiser.
Les taux de cotisation retraite des salariés du privé en 2019
Pour ce qui nous occupe ici,- la discussion de la position de Piketty-, on en retiendra deux choses :
D’abord que le Régime Général, régime « de base », qui n’assure donc que jusqu’au salaire plafond et ne fait pas cotiser au-delà, reçoit néanmoins une cotisation « déplafonnée », qui est perçue même jusqu’au-delà de cette limite. Elle est de 0,4 % + 1,9% = 2,3% du salaire brut total, quel que soit le montant de celui-ci. C’est assez dire que, au-delà du plafond, cette cotisation, qui n’est donc corrélative d’aucune acquisition de droit à retraite, est de pure solidarité. Elle permet ainsi d’assurer le financement de la partie du minimum vieillesse dite (à tort, techniquement) « minimum contributif », qui est financée par la CNAV.
Ensuite, que si les retraites versées par le RG sont limitées par le salaire plafond, il en va de même pour les caisses complémentaires, mais selon des modalités spécifiques. D’abord, parce que l’ARRCO gérait un espace complémentaire lui-même borné au plafond et que l’AGIRC de son côté se limitait à huit fois le plafond et faisait donc cotiser jusqu’à ce montant. Bref, au-delà de 8 fois le plafond (soit, en arrondi, 330.000 € annuels, valeur 2020), pas de cotisation aux complémentaires et donc pas de droit à retraite, ni de base ni complémentaire, sur cette fraction de salaire.
2. D’aujourd’hui à demain : les effets de la réforme Macron.
La réforme Macron va venir profondément modifier le dispositif institutionnel des retraites. Un seul régime, supposé universel, et par points et donc « à cotisations définies » -on sait ce qu’on paie, mais on ne sait pas ce qu’on va toucher comme retraite-, va venir remplacer ce qui a été édifié jusqu’à présent. Tout cela on le sait et a été abondamment et à juste titre critiqué. On n’en parlera pas ici.
Ce qui, par contre, n’a pas été véritablement relevé et qui est pourtant central, c’est que cette réforme s’accompagne d’un rétrécissement radical et financièrement considérable du champ de l’assurance vieillesse.
Sur ce point, le rapport Delevoye est parfaitement explicite et sans ambiguïté aucune et néanmoins sans aucune justification présentée : « Le système universel garantira pour tous les assurés un très haut niveau de protection sociale, avec l’acquisition de droits sur la totalité de leurs revenus d’activité (dans la limite de 120 000 € bruts annuels, soit 3 fois le plafond actuel du régime de base de la sécurité sociale) ».
Derrière cette apparemment innocente, voire alléchante, formule, se cache en fait une redoutable régression. En effet, là où le dispositif actuel du Régime général et des complémentaires qui lui sont associées fait, comme on vient de le voir, cotiser dans un champ qui s’étend jusqu’à huit fois le salaire plafond, le futur dispositif est, quant à lui, prévu pour ne faire cotiser que jusqu’à trois fois le plafond. En chiffres (très) arrondis, là où l’on doit aujourd'hui cotiser jusqu’à un salaire de 330.000€/an (soit de l’ordre de 27.000 €/mois), cette obligation devrait demain être limitée aux salaires inférieurs ou égaux à 120.000 €/an (10.000 €/mois) et seule la cotisation déplafonnée serait perçue au-delà de 3 P. Ainsi, puisque le nouveau dispositif n’assure plus ces niveaux de salaire, les cotisations jusqu’à présent perçues par les complémentaires entre 3 fois et 8 fois le salaire plafond disparaissent purement et simplement du paysage. De là l’étonnement de Piketty dans son entretien à Libé : « le gouvernement propose un taux global de cotisation de 28 % jusqu’à 120 000 euros de salaire annuel, mais ensuite ça plonge d’un seul coup à 2,8 % ! Par rapport au système actuel, c’est une énorme baisse de cotisation pour les salaires entre 120 000 et 250 000 euros [Erreur de Piketty, il faut en fait lire 330.000 €] ». Ce n’est pas faux.
Sauf que le sujet n’est pas tant que les cotisations « plongent », comme il le dit, car elles le font d'ores et déjà, que le fait que cette disparition soit l’effet d’une constriction drastique et subreptice du champ jusqu’à présent couvert par l’assurance-vieillesse. Aujourd'hui, elles plongent au-delà de 8 fois le plafond; demain, ce sera à partir de 3 P seulement ! Les riches seront donc exemptés de la solidarité intergénérationnelle.
Comment ces actifs, salariés ou indépendants très favorisés mais hors champ de l’assurance-vieillesse, vont-ils demain pouvoir financer une retraite ? Sans malice excessive, le rapport Delevoye vend la mèche : « Les employeurs et les salariés, qui le souhaiteront, pourront compléter le niveau de retraite par la mise en place de dispositifs collectifs d’épargne retraite. Il en sera de même pour les indépendants ».
Comme l’a fort bien documenté un récent article de Martine Orange qui dévoile les coulisses de l’opération en cours, c’est un formidable espace qui va ainsi désormais s’ouvrir à « l’épargne retraite », nom euphémisé de la retraite par capitalisation. La retraite va ainsi s'engager résolument dans le monde de la financiarisation néo-libérale....
L’exclusion subreptice des salariés fortunés de l’assurance-vieillesse dont la réforme Macron se veut être l’occasion est ainsi le meilleur cheval de Troie pour la destruction programmée de la retraite par répartition… Une régression sociale majeure, une de plus !
* Thomas Piketty sur les retraites : c’est le nouveau «super Macron des riches», Libération, 11 septembre 2019.