La fake news de Macron
- Écrit par Mickaël Correia
« Je repense aux vœux que je vous présentais à la même heure il y a un an […] qui aurait pu prédire la crise climatique aux effets spectaculaires encore cet été dans notre pays ? »
Cette phrase hallucinante a été prononcée le samedi 31 décembre dernier par le chef de l’État lors de ses traditionnels vœux télévisés.
Quelques mots devant des millions de Français·es qui laissent entendre que le changement climatique est un événement inattendu.
« Dire en 2022 qu’on ne savait pas, c’est simplement une fake news », s’est désespérée Magali Reghezza-Zitt, géographe membre du Haut Conseil pour le climat, un organisme qui a vocation à apporter un éclairage indépendant sur la politique climatique du gouvernement et créé en 2018 par… Emmanuel Macron.
Le premier sommet de la Terre a eu lieu en 1972.
L’audition devant le Sénat américain du climatologue de la Nasa James Hansen qui créa la première onde de choc médiatique mondiale à propos du changement climatique date de 1988.
Le Giec a publié son premier rapport en 1990. Et depuis 1995, vingt-sept COP, les sommets climatiques internationaux, se sont déroulées, dont celle de 2015 à Paris.
Que personne dans l’entourage du président de la République n’ait relevé cette phrase d’un discours relu et enregistré est révélatrice de la non-volonté de l’exécutif de prendre en considération l’enjeu climatique.
Pis, Emmanuel Macron conforte le discours des tenant·es du business as usual.
Comme l'a rappelé le chercheur Christophe Cassou, auteur principal du dernier rapport du Giec :
« À quoi servent nos travaux si en public, devant les millions de Français, les dirigeants, qui fixent le cap de l’action climatique, accréditent le "on ne savait pas", si chers aux partisans de l’inaction et du statu quo ? »
Le climatologue Jean Jouzel a pourtant présenté à l’Élysée en 2013, et en présence d’Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de François Hollande, les conclusions du cinquième rapport du Giec.
En mai et en août dernier, c’était au tour de Valérie Masson-Delmotte, également climatologue et coprésidente d’un des groupes de travail du Giec, d’être invitée au siège de la présidence française pour alerter sur les conséquences du changement climatique qui s’aggravent.
Bien loin de la désinformation climatique instillée par Emmanuel Macron, la réalité des faits durant l’année qui vient de s’écouler s’avère terrible.
En 2022, la France n’a quasiment pas réduit ses émissions de gaz à effet de serre. Et des milliers de personnes sont mortes après les trois canicules de l’été dernier.
Comme l’avait averti en 2021 le Haut Conseil pour le climat : « Les deux tiers de la population française sont déjà fortement ou très fortement exposés au risque climatique. »
Encore fallait-il qu’Emmanuel Macron lise les rapports de l’organisme indépendant qu’il a lui-même lancé.
Mickaël Correia
Après avoir collaboré pour Le Monde Diplomatique, Le Canard Enchaîné, La Revue du Crieur et Mediapart, je rejoins la rédaction de Mediapart en mars 2021.
Je travaille sur comment est adressée la question du climat dans les cercles de pouvoir politique et économique ainsi que sur les blocages et conflits d’intérêts qui entretiennent le statu quo en matière de lutte contre le chaos climatique.
Par ailleurs, je suis l'auteur de Une Histoire Populaire du Football (La Découverte, 2018), et de Criminels climatiques. Enquête sur les multinationales qui brûlent notre planète (La Découverte, 2022).
Urgence climatique, indigence politique
- Écrit par Marc Web
Face à l’urgence climatique et ses effets visibles dans le monde et en France, le sujet a peiné à s’inscrire au sein de la campagne présidentielle.
Malgré le récent rapport du Giec qui se veut « optimiste » sur le fait que l’on puisse encore agir pour changer les choses, les agendas politiques n’ont pas l’air de beaucoup bouger.
Canicule
- Écrit par Marc Web
Pour les météorologues, c'est désormais acquis. Dans les jours qui viennent, nous allons devoir supporter une vague de chaleur peut-être sans précédent pour un début de mois de juin : 40°C ou plus dans le Sud, plus de 35°C au Nord.
Une canicule exceptionnelle par sa précocité et sans doute aussi pour son intensité dans bien des régions du pays (et en Espagne). Liée à la remontée d'air subtropical torride, cette vague de chaleur pourrait conduire à des températures supérieures de 5 à 15 °C aux moyennes, sur plusieurs jours, avec des nuits à plus de 20°C.
Les climatologues sont formels : le réchauffement climatique, généré principalement par la combustion des énergies fossiles, augmente la fréquence, l'intensité et la durée des vagues de chaleur. Ce résultat, comme le montre le dernier rapport du GIEC, est très robuste.
Affirmer ce lien n'est pas hasardeux : aujourd'hui, c'est ne pas le mentionner qui n'est pas sérieux.
Dans cet excellent thread sur Twitter, Christophe Cassou, climatologue, nous rappelle pourquoi.
Ainsi, si 43 vagues de chaleur ont été enregistrées depuis 1947, à peine 9 ont eu lieu avant 1989. Les 34 autres, soit 80%, ont eu lieu depuis 1989 : on compte « 3 fois plus de vagues de chaleur ces 30 dernières années que durant les 42 années précédentes » selon Météo-France.
Et cela ne devrait qu'empirer : selon une étude publiée par la revue Science en septembre 2021, les enfants nés en 2020 subiront 7 fois plus de vagues de chaleur, 2 fois plus de sécheresses et incendies de forêts, 3 fois plus d'inondations et mauvaises récoltes qu'une personne née en 1960.
Le chaos climatique se conjugue donc au présent et nul n'en sortira indemne.
L'insécurité est écologique et la catastrophe est aussi sociale : ce sont les plus pauvres, précaires et fragiles d'entre nous qui seront les plus touchés par ces phénomènes climatiques intenses.
Pourquoi alors appeler cette vague de chaleur « canicule TotalEnergies n°1 » ?
Nous sommes confrontés aux double ciseaux de la catastrophe climatique : d'un côté les politiques climatiques que les pouvoirs publics devraient mener d'urgence sont toujours édulcorées, rendues inoffensives ou remises à plus tard ; de l'autre, les entreprises du secteur des énergies fossiles continuent d'explorer de nouveaux gisements, d'en exploiter plus et de refuser d'arrêter d'investir.
Parce qu'elle est l'une des principales multinationales françaises, qu'elle continue à investir massivement dans les énergies fossiles et qu'elle est un acteur majeur du lobbying anti-climatique en France et en Europe, TotalEnergies incarne parfaitement une part conséquente de la responsabilité des catastrophes climatiques.
Le chaos climatique n'est ni un accident ni une fatalité : les responsabilités sont inégalement partagées. Nommer les responsables est une exigence du temps présent.
Voici un petit florilèges des raisons qui peuvent donc justifier d'appeler les canicules à venir du nom de TotalEnergies et de lui accoler son occurrence :
- TotalEnergies fait partie des 20 entreprises qui ont le plus contribué au réchauffement climatique depuis 1965
- TotalEnergies était au courant de l’impact "potentiellement catastrophique" de ses activités sur le climat dès 1971, et n'a cessé depuis de nier, fabriquer du doute et freiner les politiques climatiques
- TotalEnergies s'apprête à ouvrir l'équivalent de 18 centrales à charbon rien qu'avec les projets pétro-gaziers qu'elle a dans les cartons d'ici 2025, alors que l'AIE a montré qu'il ne fallait plus investir dans de nouveaux projets gaziers ou pétroliers
- TotalEnergies et son PDG Patrick Pouyanné viennent ainsi d'annoncer « un jour historique » pour qualifier leur engagement dans le plus grand projet de gaz naturel liquéfié du monde, au Qatar.
- TotalEnergies continue de consacrer, selon ses propres données, plus de 70% de ses investissements au pétrole et au gaz, alimentant le réchauffement climatique et les vagues de chaleur ;
- TotalEnergies profite de milliards d'euros d'aides publiques (aides COVID19, aides BCE, plans de relance, plan France2030, aide inflation) mais refuse de s'engager dans la reconversion de son appareil productif
- TotalEnergies refuse d'envisager de fermer ses infrastructures dans les énergies fossiles alors qu'une étude récente montre qu'il faudrait en fermer la moitié pour conserver une chance raisonnable de ne pas dépasser 1,5°C.
- TotalEnergies profite de l'envolé des prix de l'énergie pour amasser des profits, augmenter la rémunération de ses actionnaires plutôt que d'investir massivement dans la transition énergétique
- TotalEnergies veut construire le plus grand oléoduc chauffé au monde (1 443 km), qui menace de nombreuses réserves et aires protégées et les deux plus grandes réserves d’eau douce d’Afrique de l’Est, les lacs Victoria et Albert (projets Tilenga et EACOP).
- TotalEnergies refuse d'enclencher une politique climatique digne de ce nom et continue de tergiverser et remettre à plus tard sa reconversion industrielle et technique, préférant faire voter à ses actionnaires des plans de greenwashing.
(liste non exhaustive)
Sur twitter, des spécialistes du climat et de la météo ont suggéré d'autres options pour nommer ces vagues de chaleur. Notamment celle consistant à ne pas se limiter à TotalEnergies mais de commencer par Aramco, puis de continuer avec BP, Chevron, et les autres, en changeant de lettre pour chaque nouvelle vague de chaleur. Une telle taxonomie mériterait sans doute une initiative internationale.
D'ici là, notre proposition nous semble plus simple et opérationnelle à court-terme. Y compris pour marquer les esprits et s'assurer de faire grossir la pression à la fois sur les pouvoirs publics et sur Patrick Pouyanné et la direction de TotalEnergies qui refusent catégoriquement de reconnaître que leurs investissements actuels dans les énergies fossiles sont climaticides.
Une telle appellation pourrait utilement être complétée : pourquoi ne pas prendre le nom d'Engie et procéder de la même manière pour chaque phénomène climatique pluvieux exceptionnel / inondation majeure ? Et, pourquoi pas également prendre le nom d'un des 63 milliardaires français qui brûle la planète avec leur mode de vie insoutenable pour nommer chaque mega feu auquel nous devrons faire face, comme le propose le journaliste Mickaël Correia (#megafeuBernardArnaud) ?
A débattre.
Vite.
D'ici là, appelons donc la vague de chaleur qui arrive la « canicule TotalEnergies n°1 »
Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l'âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015) et co-auteur de « Un pognon de dingue mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie » (Seuil, 2022).
des citoyens secouent les JT
- Écrit par Reporterre
TF1, France TV, M6 : aucun des géants de l’info télévisée n’a échappé à l’analyse — parfois piquante — de Climat médias.
Depuis plus d’un an, le collectif citoyen les appelle à mieux traiter l’actualité climatique.
En ligne de mire, leur traitement de l’actualité climatique. Ces derniers mois, l’association a par exemple épinglé M6 pour avoir illustré une canicule par des vacanciers qui mangent une glace ou s’amusent dans l’eau ; TF1 pour n’avoir quasiment jamais fait le lien entre incendies et réchauffement climatique ou encore France 2 pour avoir « fait la promotion » du gaz de schiste importé en Europe, le tout sur le réseau social Twitter. Autant de choix journalistiques problématiques, alors que la crise climatique se renforce.
Venus de toute la France, ces citoyennes et citoyens se sont rencontrés autour des mobilisations pour la loi Climat au printemps 2021. À l’époque, ils étaient déjà mécontents du travail des médias sur le sujet mais le déclic est survenu durant l’été suivant, au moment de la publication du premier volet du rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). « Le monde médiatique a été totalement aspiré par le transfert de Lionel Messi , se rappelle Raphaël Demonchy.
La sortie du rapport du Giec est passée à la trappe. C’était d’une violence inouïe. » En réaction, le collectif s’est organisé : boucle Whatsapp, réunions en ligne, et préparation d’un plan d’attaque.
Ils ont choisi de s’intéresser aux journaux télé — qui à eux seuls rassemblent plus de 12,5 millions de téléspectateurs chaque soir.
Fin 2021, le film Don’t look up — qui dépeint une société incapable de réagir face à une catastrophe imminente — ainsi que les températures anormalement élevées pour un hiver classique les ont encore plus motivés. En février, grâce à la création de leur compte Twitter Climat Medias, le collectif a gagné en notoriété. Des journalistes les ont commencé à les suivre et à relayer leur travail.
Leur analyse qualitative et quantitative s’est affinée grâce à un logiciel mis au point par un membre du collectif, Paul Leclerc. L’outil « aspire » tous les contenus des JT pour les analyser. Résultat : depuis 2013, seul 0,8 % des reportages mentionnent la question climatique. Après un été caniculaire, le chiffre atteint à peine 3 à 5 %. Et les évènements clés ne sont pas mieux couverts. Le 28 février, jour de publication du rapport du Giec portant sur les impacts, l’adaptation et la vulnérabilité face au changement climatique, le collectif a épinglé à nouveau les chaînes. « Sur 370 minutes de JT cumulées (sur TF1, France 2 et M6) dans les trois jours qui ont suivi la publication, le temps d’antenne qui lui a été accordée a été de… 3 minutes ! », dénonce le collectif dans une pétition (signée par plus de 22 000 personnes).
Les médias ont un rôle crucial à jouer pour lutter contre le changement climatique. Les citoyens eux-mêmes souhaitent être mieux informés. Plus de la moitié des personnes interrogées à ce sujet (53 %) estiment que les médias n’accordent pas suffisamment de place au sujet climat, révélait l’association Reporters d’espoirs en 2020. 94 % des sondés considèrent même le dérèglement climatique comme un enjeu capital, selon un sondage Ipsos / Le Parisien.