Face au solaire, le nucléaire est une énergie périmée
- Écrit par Raoul de Saint Venant
Grâce au progrès technique, le solaire est de moins en moins cher. Le nucléaire, lui, est une énergie du passé et « investir dans des EPR2 nous expose à un désastre financier », selon l’auteur de cette tribune.
Avec la récente décision du président Macron de lancer la construction de six EPR2 — des réacteurs EPR de deuxième génération — auxquels pourraient s’ajouter huit autres d’ici à 2050, la France s’engage dans un nouveau chantier nucléaire d’une cinquantaine de milliards d’euros selon le gouvernement.
Pendant ce temps, le photovoltaïque, qui produit de l’électricité grâce au rayonnement solaire, devient de plus en plus compétitif. Tous les deux ans, ses coûts de production baissent de 30 %, ses installations se multiplient à un rythme exponentiel, son efficacité s’améliore grâce à sa mise en réseau, etc. À ce rythme, ses coûts seront divisés par cinq d’ici à 2035 – date de mise en service commerciale prévue du premier EPR2.
Investir dans le nucléaire aujourd’hui, au prétexte qu’il fut jadis financièrement rentable, expose la nation à un désastre financier, le développement du photovoltaïque menaçant la compétitivité des centrales EPR.
Un développement technique rapide allié à une demande profonde
On pourrait comparer le secteur des systèmes photovoltaïque – cellules + batteries + réseau de transport – à celui des composants électroniques. Il y a cinquante ans, ce dernier était un marché anecdotique, réduit aux calculettes pour étudiants ; aujourd’hui ses composants se retrouvent dans tous les équipements électroniques, quelles que soient leur taille et leur puissance. Un bouleversement industriel qui est aussi devenu sociétal !
De même, il y a encore trente ans, le photovoltaïque était réservé à des localisations isolées, villages de brousse ou balises maritimes ; aujourd’hui, des projets de grande taille visent à satisfaire les besoins des économies développées. Demain, cette énergie sera transportée par des réseaux transcontinentaux : ainsi les nuits de Paris pourront être éclairées par Dallas ou Moscou et ses journées maussades par Madrid, Rabat ou Stockholm.
Une telle révolution s’explique par la conjonction d’un développement technique rapide et d’une demande vive et profonde, qui induit finalement une baisse rapide des coûts : en 2011, le mégawattheure coûtait 148 dollars, en 2013, 91 ; en 2018, 40, et en 2020, 31. Le domaine des batteries et celui de l’énergie photovoltaïque répondent à des prix toujours plus bas aux usages classiques – éclairage, chauffage, communication. Parmi les innovations récentes, citons celle de l’entreprise Asca. Elle commercialise des films souples et transparents, sur lesquels sont imprimées des cellules photovoltaïques aptes à s’appliquer sur n’importe quelle surface – murs, façades de bâtiments – et à la rendre productrice d’énergie. De nouveaux débouchés apparaissent, comme l’agrivoltaïsme ou les vitrages solaires grâce à la création de formats sur mesure, pour des poids, encombrements et inconvénients décroissants, avec des rendements électriques croissant – doublement en trente ans jusqu’à aujourd’hui.
Les progrès des batteries ne sont pas en reste, notamment avec le couple « fer-air », qui devrait permettre de stocker de l’énergie pendant deux semaines à des coûts dix fois inférieurs. D’autres développements portent sur le stockage de l’énergie solaire sous de nouvelles formes – hydrogène et méthane –, ce qui facilite son transport ainsi que la géothermie et participe aux baisses de coûts.
Il en résulte que la vitesse de ces progrès, s’accompagnant d’une baisse de coût régulière, à facteur constant, tous les deux ans, solvabilise progressivement une immense demande pour une solution autonome, sûre, locale et commode d’emploi. Et on peut penser que cette logique, similaire à celle enregistrée pour les composants électroniques – et appelée « loi de Moore », d’après le nom de l’industriel qui avait observé que le coût d’un composant électronique était divisé par deux tous les deux ans environ – ne doit rien au hasard et va se poursuivre dans les décennies à venir.
Nucléaire : un choix du passé
La filière nucléaire, en revanche, ne bénéficie pas d’une telle loi. Ses coûts, liés à des technologies mûres, ont un faible potentiel de baisse, et sa capacité d’expansion mondiale est restreinte par un grand nombre de considérations géostratégiques : accès à une filière complète de traitement des éléments radioactifs, nécessité de compétences et d’infrastructures très élaborées, risques de dépendance à long terme aux services techniques du fournisseur lorsqu’il est étranger, danger de la prolifération nucléaire…
Par ailleurs, les coûts variables non négligeables du nucléaire (combustibles, maintenance, sécurité…), cela alors que ceux du photovoltaïque sont quasi nuls, feront qu’il ne sera appelé à produire que pour la réponse aux pointes de consommation, modalité en contradiction avec son cahier des charges, visant à subvenir à la base de cette consommation.
Il faut, de surcroît, prendre en considération les plus fortes incertitudes sur les coûts futurs du nucléaire – aléa endémique de l’EPR si l’on en juge les chantiers de Flamanville ou d’Olkiluoto, dont les coûts et les délais ont été multipliés par plus de trois sans que les chantiers soient encore achevés. À l’opposé, le photovoltaïque ne court que des risques de court terme, liés à l’approvisionnement de ses matières de base.
« Un désastre financier et une nuisance écologique »
On peut donc affirmer, avec une bonne marge de certitude, que les projets de centrales EPR manquent de compétitivité à l’horizon de leur mise en service envisagée, 2035. Pire, ils nous entraînent au désastre financier avec la fermeture de ces équipements avant même leur mise en service et un manque de stratégie économique – l’argent investi dans le nucléaire n’ayant pas servi au développement du photovoltaïque. Enfin, il ne faut jamais oublier que ce désastre financier est associé à la nuisance écologique des constructions devenues inutiles.
S’agissant donc d’un secteur sans avenir, ne faut-il pas qualifier ces nouveaux projets d’EPR d’« aides d’État à fond perdu » ?
Raoul de Saint Venant est polytechnicien, conseiller en stratégie, notamment dans les domaines de l’énergie, de l’électronique et des télécommunications. Ce texte est une transcription libre faite par Reporterre d’une présentation faite devant X-Sursaut, un groupe de réflexion de polytechniciens.
Que s’est-il passé à Flamanville ?
- Écrit par Marc Web
EDF peut-elle prétendre établir son propre bilan ?
"Pas encore de mots pour cela. Un livre plus tard quand j’aurai le temps, et il y aura des choses à raconter..." : voici comment Antoine Ménager décrit sur LinkedIn son expérience en tant que directeur de l’aménagement de l’EPR de Flamanville de 2011 à 2016.
Or c’est cette même personne qui représente EDF lors du débat public sur la construction de deux réacteurs EPR à Penly !
Dans cette configuration, comment espérer une quelconque objectivité de la part d’EDF lorsqu’il s’agit de faire le bilan de ce chantier chaotique ?
Et, avec de telles cachotteries, comment donner du crédit à la notion de "retour d’expérience" mise en avant par l’industrie nucléaire ?
Sans parler de la "transparence" !
Enfin, comment croire EDF sur le respect des coûts et des délais alors que, rien que sous la direction de M. Ménager, le chantier EPR de Flamanville a pris plusieurs milliards de surcoût et plusieurs années de retard ?
lire le résumé fait par Sortir du Nucléaire
lire l'article sur le Fiasco de Flamanville
non le nucléaire n'est pas notre avenir
- Écrit par Marc Web
Aude Lancelin a reçu Hervé Kempf, fondateur du quotidien écologiste en ligne Reporterre, et Christophe Ramaux, économiste à la Sorbonne, pour confronter les arguments sur l’enjeu du nucléaire en pleine crise de l’énergie.
Le risque d’accidents du type Fukushima ou Tchernobyl doit-il nous conduire à nous passer à terme de l’énergie atomique? Est-il au contraire inconscient de se priver d’une énergie décarbonée face à l’urgence climatique? Nos invités débattent de toutes les questions qui fâchent dans cette édition de Pas de Quartier
Investir pour la sécurité dans le parc existant OUI
investir pour de nouveaux réacteurs NON
Non, la France n’est pas indépendante grâce au nucléaire
- Écrit par Françuis Vallet
L’« indépendance énergétique française » acquise grâce au nucléaire n’est qu’un mensonge d’État,
estime l’auteur de cette tribune.
Le gouvernement répète ce mantra pour justifier la construction de nouveaux réacteurs.
À la demande du groupe parlementaire Les Républicains, l’Assemblée nationale devrait lancer une « commission d’enquête sur les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France » sous les présidences de François Hollande, puis d’Emmanuel Macron.
Bonne nouvelle. On va enfin parler de la prétendue « indépendance énergétique » de la France, tant vantée par le président Macron. Lors de son discours du 8 décembre 2020 au Creusot, il affirmait en effet : « Nous avons fait le choix du nucléaire en 1973 pour gagner en indépendance énergétique et, contrairement à certaines voix que j’ai pu encore entendre récemment, la France n’a pas tout mal fait dans son passé. » Sur le site de l’Élysée, la retranscription de ce discours précisait même qu’« en générant plus de 41 % de l’énergie en France, le nucléaire nous [rendait] autonomes ». Or, c’est faux, pour une raison toute simple.
Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), le taux d’indépendance énergétique d’un pays est le rapport entre sa production et sa consommation d’énergie primaire (chaleur générée par la fission nucléaire dans les réacteurs, charbon, pétrole, gaz naturel, hydraulique, énergies renouvelables).
À ce jour, il le calcule toujours en utilisant une convention datant de l’époque où l’uranium des réacteurs nucléaires provenait de mines françaises (dont la dernière a fermé en 2001). La chaleur dégagée par la fission nucléaire y est apparentée à une production nationale. Sur cette base, l’Insee estimait donc à 55,5 % le taux d’indépendance énergétique de la France en 2020. Calculé à partir des données publiées par Eurostat, l’organisme statistique européen, ce taux (réel) était, pour la même année, de l’ordre de 13,5 %.
Bien loin, donc, de la valeur annoncée par l’Insee et des affirmations de l’Élysée.
Autre hic : le développement à marche forcée du chauffage électrique
Parallèlement, le pays est devenu l’un des plus « thermosensibles » d’Europe à cause du chauffage électrique.
Selon RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité français, un degré de baisse de température extérieure augmente la puissance appelée sur le réseau de 2 400 mégawatts (MW). Ce pari sur l’électrique, une « exception française », a été encouragé, à partir de 1973, par des réglementations favorables et par des soutiens massifs d’EDF (tarification, subventions, aides techniques et commerciales aux promoteurs et installateurs, etc.).
EDF y a trouvé un moyen commode et rapide d’augmenter massivement ses ventes d’électricité pour financer son programme nucléaire. Mais les réacteurs nucléaires ne suffisant pas à fournir toute la puissance nécessaire en période froide, il faut faire fonctionner les centrales à gaz, à charbon et à fioul pour alimenter les chauffages électriques. Dans un contexte où les centrales à charbon sont bannies, où l’approvisionnement en gaz est remis en cause et où l’indisponibilité des réacteurs augmente, la dépendance aux importations d’électricité s’accroît et les risques de coupure de chauffage aussi.
L’uranium est importé en totalité depuis 2003
La France est dans un cercle vicieux de dépendances. Selon un article du Monde, l’uranium est importé en totalité depuis 2003. Et, en 2020, il provenait à 90 % de pays sous influence russe (Ouzbékistan : 26 % ; Kazakhstan : 29 %) ou chinoise (Niger : 35 %). Le reste (10 %) provient d’Australie.
Mais ce n’est pas tout. Pour alimenter les réacteurs nucléaires français, des « assemblages combustibles » sont importés d’une usine en Allemagne, alimentée en hexafluorure d’uranium par la Russie. Pour sa « chaîne d’approvisionnement et de transformation de l’uranium » la France dépend donc de ce pays vers lequel elle expédie une partie des déchets radioactifs issus du « retraitement des combustibles usés »
Relancer le nucléaire, c’est aller à rebours de l’histoire
La France est en réalité un des maillons faibles de l’Europe de l’énergie : elle ne respecte pas ses engagements d’efficacité énergétique et de part des renouvelables dans le bilan énergétique. Elle fait commerce de matières fissiles et de technologies nucléaires avec la Russie. Cela empêche très probablement toutes sanctions efficaces dans ce secteur stratégique pour le chef de guerre Poutine. Andreas Kübler, porte-parole allemand du ministère fédéral de l’Environnement, l’a regretté publiquement au moment de l’arrivée d’une cargaison d’uranium russe à l’usine de Lingen, en Allemagne. Et pour masquer son incurie, le gouvernement fait mine de vouloir accélérer le développement des énergies renouvelables. Cette gesticulation politique n’effacera pas l’indisponibilité croissante des réacteurs nucléaires : supérieure à 50 % actuellement, contre 32 % en 2020 (avec dix réacteurs complètement arrêtés toute l’année), selon le World Nuclear Industry Status Report de 2021
Relancer la construction de réacteurs nucléaires aujourd’hui, au prétexte de la transition écologique, c’est pourtant aller à rebours de l’histoire et de la démocratie. C’est oublier le risque de catastrophes d’ampleur mondiale et le danger à se soumettre, à l’heure de la crise écologique, à des régimes antidémocratiques comme la Chine et la Russie, prêts à faire des centrales de potentielles cibles militaires.
Sans compter la production de déchets radioactifs ingérables et la poursuite de scénarios-catastrophes puisque, en attendant les nouveaux, EDF prétend mener jusqu’à 50 ou 60 ans ses anciens réacteurs, dont la moitié est déjà hors d’usage…
N’est-il pas temps d’avoir un vrai débat public sur l’ensemble des enjeux liés au nucléaire, et hors des mensonges nucléaristes ?
François Vallet est ingénieur en génie climatique, énergétique et environnement.